Annie Delvenne
De retour à Nairobi, elle poursuit l’enseignement à l’université et coécrit avec ses collègues kenyans un ouvrage de référence qui met en regard les principes et pratiques exemplaires de conservation de la nature au Kenya et l’opportunité d’accorder la même attention à la préservation de son patrimoine culturel. En observant comment la faune et les paysages bénéficient de politiques de protection exemplaires, elle suggère que ces méthodes, ces savoir-faire et cette conscience collective peuvent tout autant servir la sauvegarde d’une culture nationale à la diversité remarquable.
Mais l’appel de la création artistique demeure tout aussi vif. Animée par la même énergie, elle façonne, invente, assemble : crée des meubles où le bois récupéré dialogue avec le métal, dirige un atelier florissant, élève son fils et lance les Annie’s Wafels, ces gaufres liégeoises devenues un succès dans les meilleures boutiques de la capitale kényane jusqu’à aujourd’hui.
Autour d’elle se tisse un réseau d’amitiés profondes, nourri de travail partagé, de confiance et d’élan créatif. Fidèle, elle retourne souvent visiter ses amis kényans.
Annie a le contact direct et la bonté exigeante : dans les musées, elle s’adresse aux conservateurs comme aux femmes qui entretiennent les salles, à l’homme qui veille sur les réserves, comme aux mécènes qui soutiennent les projets. Ses amies africaines lui ont offert le plus beau des hommages : « You, you’re also an African woman. »
Revenue en Europe, elle relance son activité. Telle une aventurière du sensible, à la fois intellectuelle et manuelle, elle joint à la rigueur du métier la liberté de l’artiste. Sa rencontre avec l’architecte Olivier Vitry de Claisse Architecture ouvre un nouveau cycle : leurs œuvres communes font dialoguer le textile et le métal — les étoffes prestigieuses modelées par Annie s’accordant aux structures dessinées par Olivier en aluminium et en laiton.
Par son geste, à la fois précis, élégant et harmonieux, Annie habille les structures de ses motifs gravés, les assises de tissus plissés. De cette alliance naît une lumière particulière, une respiration entre matière et forme. Chaque œuvre naît de l’équilibre entre la rigueur du métier et la liberté du geste, entre la trace du passé et l’élan du présent.
Depuis que Marie-Bérangère Gosserez, de la Galerie Point G à Paris, la représente, Annie Delvenne se déploie dans toute son amplitude : celle d’une femme douce et volontaire, rigoureuse et libre, d’une élégance tenace. Son œuvre, enracinée dans les cultures de notre monde, révèle une quête patiente et ardente : donner à la matière la voix du temps et au temps la beauté du présent.
Sa famille, ses amis et ses partenaires, qui l’ont vue tracer ce sillage, savent qu’il se compose de talent et de travail, mais aussi d’un esprit rare — celui d’une femme qui, où qu’elle aille, fait du monde un lieu habitable, juste et beau.
ANNIE DELVENNE suit depuis toujours le fil d’une vie où le geste, la curiosité et la beauté des matières avancent ensemble. Enfant, elle dessinait, peignait, observait l’architecture et rêvait d’espaces à inventer.
À Bruxelles, elle se forme au stylisme, explore la mode, fonde sa propre marque. Elle découvre le rythme exigeant de la création et les limites d’un monde qu’elle désire plus vaste. Alors elle s’en va : d’abord au Burundi, puis en Éthiopie et au Kenya, là où la matière, la couleur et la mémoire ont un autre poids — charnel, humain, entier. Son regard porte déjà plus loin : vers le patrimoine, les gestes anciens, le vivant.
À Nairobi, un mandat d’ambassade lui confie la réhabilitation de la salle consacrée à la culture swahilie des musées nationaux du Kenya. Elle y découvre la muséologie, ce dialogue entre l’objet, le temps et l’histoire humaine. Volontaire et passionnée, rien ne l’effraie : tout est à apprendre, et cela la stimule. Elle étudie l’anglais au British Council, puis rejoint Londres et se lance dans des études qu’elle aborde avec la même obstination joyeuse qu’un défi personnel. Pour intégrer le prestigieux Textile Conservation Centre, il lui faut d’abord un diplôme en chimie appliquée à la muséologie. Elle s’y engage, s’accroche, réussit. Elle y poursuit ensuite un MPhil puis un Doctorat, entièrement financés par le gouvernement britannique et une fondation anglaise — reconnaissance rare d’un talent qui allie rigueur, travail et grâce.
Viennent alors des années intenses. Sa route la conduit à Addis-Abeba, où elle travaille à l’Institute of Ethiopian Studies et enseigne la conservation à l’université, avant de rejoindre Ankober et les hautes terres du nord-Shoa pour préserver, aux côtés des communautés, l’héritage de l’empereur Ménélik et de l’impératrice Taytu. Là-bas, elle découvre aussi ce que signifie être l’étrangère, objet de préjugés et d’attente. Peu à peu, par la discussion et l’écoute mutuelle des idées, des pratiques traditionnelles et des approches scientifiques venues de la capitale et de l’étranger, se construit un respect réciproque et une manière nouvelle de voir ensemble. De cette confrontation féconde naît une confiance patiemment tissée, d’où émerge une compréhension commune du savoir, à la fois locale et universelle.
Plus tard, au Kurdistan irakien, alors que la région vacille entre incertitude et renouveau, elle conçoit et dirige la sauvegarde des collections du Kurdish Textile Museum d’Erbil, institution renommée et fréquentée par des chercheurs et visiteurs du monde entier. Elle met à l’abri les œuvres exposées, protège les réserves menacées, assure leur transmission. Cette mission prolonge et approfondit son engagement en faveur de la conservation de l’héritage culturel et de la protection du patrimoine dans les contextes fragiles.

